Prélever est un terme dont la signification se situe entre l'emprunt et le vol, entre la confiscation et le soulagement, entre l'accaparement autorisé et l'auto-appropriation forcée. Prélever un matériau à priori disponible et libre relève davantage de l'accaparement anodin. Réaliser ce prélèvement à l'aide d'un véhicule adéquat et siglé de la mairie, relève de l'appropriation allant de soi, voire officielle. Officielle comme peut l'être tout prélèvement fiscal opéré par les autorités publiques concernées. Enfin, la réalisation de ce prélèvement s'étant déroulée sans heurt ni contestation, bien qu'en plein milieu d'après-midi de semaine et à la vue de tout un chacun, il faut le considérer comme relevant des procédures en vigueur, ou tout du moins d'une pratique envisageable facilement. Or si l'on précise que le personnel l'effectuant était en réalité constitué de trois étudiants non agréés par les pouvoirs publiques, le postulat de départ change. Si l'on ajoute que le matériau prélevé était un lot de vingt- quatre palettes conformes à la législation et consignées, le statut du prélèvement change radicalement. Ces palettes à format standart sont même propriété inaliénable de la société qui les produit et les récupère au sein d'un cycle de location/prêt à échelle européenne. Le prélèvement ainsi considéré relève donc plutôt du vol, du détournement de bien, de l'appropriation abusive, de la confiscation non-autorisée de bien inaliénable. Tout l'intérêt de ce basculement de situation tient du fait que les protagonistes en vigueur n'étaient conscients ou en connaissance effective que de la première partie de ce développement. L'apparente décontraction affichée lors du dit prélèvement illustrait parfaitement cet aveu. Plus qu'une décontraction, il s'agit plutôt d'une légitimité à prélever. La société industrielle fondée sur la croissance de ses moyens et de ses sources a engendré en l'espace d'un siècle et demi une quantité inconcevable de produits divers. La somme ahurissante consitutée par ce capital de l'humanité est confisquée par les pouvoirs publics et privés à travers la réutilisation tarifée et spéculative de l'objet "usagé". Cet objet usagé conserve pourtant une valeur d'usage forte, bien que potentiellement différente de sa production initiale et première. Cette valeur d'usage nouvelle, modifiée et modifiable, nous voulons revendiquer notre liberté à nous en emparer. La marchandise comme mythologie ne peut nous être imposée après la désillusion de la fin de sa fonction première. Nous exigeons la possibilité de ré-utiliser, ré-emprunter, ré-activer les matériaux et les objets, les idées et les énergies. Cette exigence ne se fait heureusement pas dans l'affrontement, mais bien exactement dans notre légitimité a priori à nous emparer d'un bien laissé vacant, usé et non-soumis à l'acte linéaire de la vente de première main. Cette appropriation libre, nous la réalisons en plein jour, sans en être conscients de prime abord, avec la simplicité de la légitimité. Cette posture de la légitimité simple du prélèvement nous permet de nourrir à nouveau nos actions, nos vouloirs, nos propos, sans nécessiter de production neuve potentiellement avilissante. Cette liberté que nous avons prise nous permet de re-fabriquer, de re-exprimer une matière, sans nous aliéner à l'argent ou au travail dans le but de consommer un matériau neuf. Le prélèvement est un acte doux et simple, pourtant chargé de potentiel de lutte contre le système marchand par des moyens moins visibles, moins violents et plus positifs en énergie réinjectée. Prélever avec simplicité nous permet d'agir avec la bonne foi et la satisfaction de la bonne intention.